Amir Nave
À venir / Upcoming : River Folds
visuel_pour_la_com_site.jpg

À venir / Upcoming : River Folds

1/1

VERNISSAGE DIMANCHE 25 MAI, DE 14H À 19H

Moharamia et le fleuve quantique

Vous qui entrez dans cette exposition, « River Folds », laissez à la porte vos pensées rationnelles, vos idées sur le monde, vos histoires d’art moderne, brut ou contemporain. Venez, ouvrez vos sens et votre intelligence à l’émergence d’une forme à laquelle Amir Nave assista un jour d’hiver, à la fin de l’année 2022, au bord du fleuve Jourdain. Cette forme fut intensément vivante, infiniment pacifiante, incroyablement belle. Il en fut à la fois l’acteur et le témoin. « C’était comme s’il y avait dans le fleuve une ouverture vers laquelle le monde entier converge. Un lieu où la Vérité elle-même se dissout et se laisse emporter dans les plis de l’eau»  , dit-il. Les dessins, peintures et vidéo qu’il présente ici ne sont pas, selon ses mots, « une tentative de partage, mais un acte issu d’un impératif — une vision et une soumission à la transformation. Un geste cosmique et existentiel, qui ne relève pas d’un choix esthétique ».
La forme, née dans les plis et les replis d’une goutte d’eau, contient elle-même des univers se dépliant, se repliant, se dupliquant et cela sans fin. La forme se trouve dans les plis du monde. Comme on peut le voir sur la vidéo, Amir Nave a construit cette forme, sur 5,60 mètres, dans son atelier. Il faut préciser que son expérience se distingue d’une extase religieuse. « Elle n’existe pas pour être vue, dit-il, mais elle est comme une faille dans la structure — un mouvement de beauté qui défait et recompose les frontières du corps, du temps et du savoir.?» On l’aura compris, la notion de « pli » est essentielle ici car elle ouvre la porte sur une autre dimension que celle du miroir, de la réverbération, du ricochet ou celle de la clôture. Elle instaure un lieu. Une place inédite où tout est « repris et pardonné encore et encore et encore » .
Dans le moment de l’émergence de la forme, Amir Nave s’est vu dupliqué en face de soi en tant que Moharamia, un mortel. Amir a alors eu le sentiment d’avoir rejoint « sa place, son lieu »  en tant que véritablement soi-même et avec le désir ardent de se retrouver encore en présence de cette forme. La seule manière est de la re-former sans arrêt par ses œuvres, par ses dessins, par ses aquarelles, ses peintures…
Il invite à entrer dans cette fabuleuse expérience « River Folds » sur deux niveaux. Au premier étage, arrivent « Ceux qui marchent dans le fleuve » [Those who walk in the River]. Tout un peuple d’images, de figures et de mouvements. Ils sont vagabonds, nomades, aventuriers, ils sont contours et reflets, ils avancent seuls, en couples ou en groupes. Ils avancent à contre-courant depuis la Mer Morte jusqu’à une ouverture apparue dans le Jourdain. Parmi eux, les éveillés qui aident les autres à entrer dans l’eau. Certains portent la pleine lune de cette nuit-là comme emblème : « The Clown Moon » (2023), « The Prince Moon » (2023), parmi d’autres…
Au deuxième étage, « Notes du cahier de gouttes » [Notes from the Drop Notebook] est un univers intime et composite où sont rassemblés croquis, réflexions et documents. Ainsi que des dessins. Ils tentent de décrire le mouvement des gouttes d’eau originaires se divisant dans le fleuve, se dupliquant, là encore.
« River Folds » est une expérience qui peut apparaître comme vertigineuse. Mais elle le devient moins si on en appelle à l’historien des sciences Alexandre Koyré tel que cité par Hubert Damisch, le fameux philosophe et historien de l’art : « Koyré s’est efforcé de montrer comment la série des découvertes scientifiques, qui nous paraît tout à fait autonome, se développant en suivant sa logique propre, est en fait solidaire de toutes les autres séries [artistiques, littéraires, etc… NDLR] ou que du moins la frontière est mouvante. L’art n’occupe pas toujours la même place dans le système des pratiques, des savoirs, des connaissances. »  L’art peut devenir science. Alors pourquoi ne pas proposer de voir le moment de l’émergence de la forme d’Amir Nave comme la prémisse d’une suite plus scientifique qui parlerait de physique quantique ? La logique quantique considère que l’univers d’un objet peut se diviser en une série d’univers parallèles correspondant au nombre d’états possibles de l’objet.
L’apparition dont témoigne Amir Nave s’apparenterait alors à un rêve, à partir duquel Moharamia avance vers un mouvement existentiel, qui ne relève plus du psychique, mais d’une dissolution et d’une forme. Freud a écrit que « le rêve est une psychose, avec toutes les extravagances, les formations délirantes, toutes les erreurs inhérentes à celle-ci, une psychose de courte durée, inoffensive et même utile, acceptée par le sujet qui peut, à son gré, y mettre un point final. » C’est en rêve que le chimiste Dimitri Mendeleïev a vu le désormais universel système de classification périodique des éléments (1869-1970). La forme de laquelle Amir Nave a été en présence aborderait un monde en train de se faire connaître mais qui semble encore fantasque. « L’art, a écrit Paul Klee, comme émission de phénomènes, projection du fond originel supra-dimensionnel, symbole de la Création. Voyance. Mystère. […] Mais le mystère, c’est d’y avoir accès en participant à la création de la forme ». Paul Klee parle alors du « point gris d’où peut réussir le saut du chaos à l’ordre ». C’est là que «River Folds » vous propose d’accoster : laissez-vous transporter !

Annabelle Gugnon