Laurent Tixador
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Laurent Tixador, dépolluer les esprits au son de la musique tantrique

À l'occasion de sa quatrième expositions dans la Galerie In Situ - Fabienne Leclerc,Laurent Tixador se laisse aller à l’aventure du son, mais expérimente aussi la peinture. Comme il était parvenu à la construction et à l’architecture par la marche et le hasard de ses découvertes, il produit aujourd’hui de plus en plus de musique, toujours à partir de matériaux de récupération ou de seconde-main, poursuivant une nécessité écologique nourrie depuis dix-huit ans.

Chaque nouveau projet se révèle une expérience inédite pour Laurent Tixador lui-même, tant il laisse la sérendipité s’insérer dans son travail. Aujourd’hui, un petit train (Loco System) circule dans l’ensemble de la galerie, déclenchant la musique élaborée par son passage auprès d’une quarantaine d’instruments. Sorte de lancinance onirique qui rappelle les sonorités de son groupe Les Portes de l’Enfer, elle guide vers les autres œuvres, à l’exemple d’une série de peintures, médium que l’artiste n’avait jamais exercé et découlant de ses pérégrinations sur le glacier d’Aletsch, en Suisse. A la blancheur immaculé de la montagne, s’oppose de plus en plus du noir de carbone, provenant de la pollution environnante croissante. Les actes de Laurent Tixador sont ceux des gestes infimes, et dans cette symbolique d’enlever des déchets, il choisit d’extraire à la petite cuillère un kilo du matériau néfaste qu’il va employer tel un pigment monochrome sur les toiles. Il déplace les choses, et dépolluer un site naturel, même à un niveau modeste, est toujours salutaire. Ce acte peut encore évoquer le Fusov,rapporté en 2015 des îles Kerguelen, qu’il aime à citer car il démontre que certaines histoires s’avèrent plus passionnantes que d’autres. Ainsi, il découvrit un jour la présence de ces fusées de radiosondages soviétiques, tirées dans les années 1970, soit en pleine Guerre Froide, sur le territoire français, dont le premier niveau retombait sur terre ou en mer. Un récit dont personne n’est très fier, ayant pourtant laissé de nombreux lanceurs sur place… Dans un geste politique discret, mais assumé et affirmé, il choisit d’exhiber un projectile dans la galerie, lors de la précédente exposition qui lui était consacré. Non seulement les peintures (Carbone suie) découlent de cette action, mais encore une multiprise, au titre éponyme, constituée de déchets collectés sur la plage de l’île de Ouessant et permettant la projection du film retraçant le ramassage en train de se faire.

Laurent Tixador travaille parfois en isolement total et s’est soumis à des séjours dans des grottes ou de minuscules îlots, dans lesquels il se retrouve seul, face à sa concentration extrême et à la construction mentale de ses projets futurs. Il n’hésite pas à affirmer, non sans humour que « dans 1.80 mètre de diamètre, il se passe forcément plein de choses ! » et que de son point de vue, « il s’agit réellement d’une expérience de voyage. » Pour d’autres histoires, il s’évade vers un inconnu géographique plus étendu et se laisse aller à une certaine errance, mettant également son corps en difficulté. J’ai rencontré Laurent Tixador quand je l’avais invité à participer à l’exposition WANI, montrée à la Fondation Ricard en 2011, dont j’étais le commissaire avec Paul Ardenne. L’exercice, qu’il s’était imposé, était de parcourir à pied 450 kilomètres, de Nantes à Paris, et de se mettre dans la peau d’un fugitif traqué par des chasseurs potentiels, appâtés par une récompense de 1000 euros. Logiquement, il donnait très peu d’indications sur son positionnement et indiquait juste qu’il se portait bien quand nous lui téléphonions de temps en temps. Enfin, le jour du vernissage, il arriva victorieux, affranchi et totalement épuisé, tant il s’était immiscé dans son rôle, à la manière d’un acteur, même s’il ne met jamais en avant une narration grandiloquente. Cette aventure m’a rappelé, quelques jours après la disparition de la cinéaste Agnès Varda, la quête absolue de liberté que brandit Mona, interprétée par Sandrine Bonnaire, dans Sans Toit ni loi. Non seulement dans le récit de cette jeune femme refusant les codes de la société et croisant les différents archétypes qui la peuplent – le bourgeois ou l’altermondialiste, l’altruiste ou le prédateur…  -  mais encore dans la réalisation de ce long-métrage pour lequel l’actrice de 18 ans avait dû se plier à la réalité du personnage et souffrir réellement du froid ou du manque d’hygiène. Agnès Varda s’était également inclus dans cette réalité et avait recueilli des auto-stoppeurs pour comprendre le quotidien des sans-abris ou erré dans certaines gares à la nuit tombée. Laurent Tixador allie cette instigation d’un déplacement fertile, à une quasi-fascination pour l’artisanat et à une volonté d’octroyer une farouche indépendance à chacune de ses pièces. Il les construit en totalité et doit être capable de comprendre l’ensemble de leurs agencements et, s’ils se sont complexifiés, sa première action, réalisée en 2001, s’était avérée comme « un geste fondateur ». Le principe en semble très simple : partir se balader dans les Dunes de Coutainville en juillet-août 2001 et ramasser un galet. Décider de le polir pour lui conférer un côté tranchant, qui permet de couper une branche, puis réaliser qu’accolée à la pierre, elle forme une hache qui peut couper un arbre, donc bâtir un abri. Quels que soit les cabanes, grottes ou autres lieux temporaires de vie, ils sont toujours quittés sans aucune source de pollution, car tout est chevillé et coincé, sans l’emploi de vis ni de ficelle. Le plasticien est d’ailleurs aussi solitaire dans sa pratique que dans ses références. Il ne se reconnaît pas de confrère aux problématiques semblables, du moins avec la même radicalité, pas plus qu’une paternité avec Robert Filliou, auquel l’on pourrait penser dans cette élaboration du faire ou du mal faire et d’un semblant de bricolage, très conceptualisé, à partir de matériaux pauvres. Tout au plus concède-t-il adorer la manière de travailler d’un Werner Herzog, accueillant l’accident au sein de tournages, heureusement bien plus mouvementés que ne sont ses propres performances. Pour autant demeure chez les deux auteurs une conscience accrue de l’action en train de se produire : « Il faut mériter certains paysages et contextes, précise Laurent Tixador, car les surprises surgissent au sein d’espaces reculés et si je ne recherche pas de situations précises, je vais à l’aventure et vers l’inconnu. Quand on arrive dans un endroit, on ne voit au départ que les matériaux que l’on peut utiliser et les choses en superficie. On observe ce que tout le monde voit. Ensuite, on découvre des matières plus tenues et des solutions pour continuer à développer son implantation. Il faut savoir lire le contexte dans lequel on se trouve. L’observation est ma principale trousse à outils et, à force de me déplacer, j’élargis cette capacité de lecture. » Il développe, en outre, sa capacité à pouvoir maîtriser et comprendre la fonction de tout ce qui l’entoure. Ainsi, se réjouit-il de la construction d’un canon (Canon de buis) d’une soixantaine de centimètres, représentant un nouveau challenge technique. Evidemment, Laurent Tixador ne l’emportera jamais dans ses voyages, mais nourrit la satisfaction de pouvoir le reproduire. Comme cette maquette (Cagna) qui est à l’effigie d’une cabane imaginée durant la Guerre 14-18, par un militaire allemand. Menant peu de recherches en amont, il a néanmoins rassemblé une collection d’images de ses habitations précaires que les soldats de l’arrière-front échafaudaient. Certaines étaient réalisées dans l’urgence, d’autres dans des utopies délirantes, quand une troisième catégorie tentait de recréer la coquetterie de douillettes maisons. L’artiste en avait déjà recontextualisé certaines dans le cadre de workshops, puis a conçu cette dernière pièce uniquement avec des éléments issus de sa poubelle, demeurant en autarcie chez lui. Loin d’être trash, l’objet se révèle fort délicat. Tout comme son concepteur témoigne, avec une grande mesure, de son engagement citoyen ou politique, notamment en réutilisant les nombreuses munitions de police qu’il ramasse régulièrement dans les rues de Nantes, pendant et après les manifestations.

Le parcours de Laurent Tixador révèle un certain caractère prémonitoire, particulièrement dans sa conscience écologique. Travailler avec des objets de récupération et des actes de déposition a accompagné une volonté initiale de ne pas « produire d’œuvres d’art » et de ne pas encombrer l’espace. Sorte de contre-courant aux fastes et gaspilleuses années 1980, durant lesquelles il a grandi, mais aussi à une esthétique relationnelle qu’il vit de manière très personnelle, voire parfois un peu animale et sauvage. Il ressent les choses et, quand on l’interroge sur l’écologie, il répond qu’il s’agit simplement « de faire en sorte que les objets soient à leur place. » Certains adeptes du new-âge méditatif ou yogi pourraient également l’idolâtrer pour sa conception du temps présent. Là encore, Laurent Tixador nous surprendra quand il précise que ses séries préférées du moment portent sur de la science-fiction loufoque et bon marché ou des westerns de l’espace, qui étaient diffusés aux débuts des années 2000 et le plonge aujourd’hui dans une sorte de hors-temps rétro-futuriste. S’il a toujours une longueur d’avance, peut-être nous montre-t-il que l’avenir se développera dans des narrations plus chaotiques ou se détériorera, mais bercé des sons lancinants, chamaniques et hypnotiques qu’il se plaît désormais à jouer. 

Marie Maertens,
Avril 2019

Galerie In Situ - Fabienne Leclerc
14 Boulevard de la Chapelle
75018 Paris